« 1er août 1982. Nous rentrons de la chasse au trésor. Je porte sur l’épaule les deux bêches sans lesquelles le trésor des gaulois restera caché, là-bas, près des rochers plats ou nous aimons jouer. Dans ma main, bien serrée, la petite main confiante de Frédéric…. Tu te demandes, Frédéric, si ce trésor oublié là-bas par de mythiques Gaulois ne serait pas tant simplement, au centre de la terre, là où il y a un noyau de feu. Si tel était le cas, cela impliquerait, d’après toi, que l’on creuse pendant mille jours et cette éventualité te parait tout aussi raisonnable que celle que tu avançais tout à l’heure : creuser un mètre et, par-delà la masse des détritus arriver enfin à nos fins !
Tu as bientôt 5 ans et tu enchantes ma vie. Si j’écris aujourd’hui, ce n’est pas dans l’inutile perspective d’être un jour édité, ni que l’on voit dans ces quelques lignes la chronique de toute une époque. C’est tout simplement parce que je sais qu’un jour je serai mort et que je veux laisser une mince trace de ce que j’ai été, pour que, vous mes enfants, puissiez, si le cœur vous en dit, dire à vos enfants qu’ils ne sont pas sortis du néant, que, de génération en génération, ils se rattachent à des êtres qui ont vécu, vibré, parfois souffert, mais aussi connu le bonheur d’une petite main abandonnée dans la leur, sous les grands jours, au son crissant des cigales, sur cette terre de Provence à laquelle je me raccroche.
Tu parles et je m’extasie. Ton vocabulaire riche et bien choisi m’enchante. Je sens, j’allais dire, je vois, tes idées s’architecturer dans ton cerveau. Ta pensée s’articule clairement, et du reste, ce soucis de construire, d’expliquer, de découvrir, on le retrouve dans les manies de ton langage. Tu ponctues tes phrases de « Tu sais pourquoi », de « j’ai une idée », de « je vais réfléchir » et, soudain tes éclats de joie : « c’est fastoche ! J’ai trouvé ».… ; »
Ainsi débute le manuscrit Auto-biographique de mon père que l’on a retrouvé avec maman presque 20 ans plus tard après qu’il ait été écrit.
Au moment où j’écris ces lignes, Noah est endormi à côté de moi et dors du sommeil du juste, sa petite main dans la mienne. La similitude me frappe. Les générations se suivent et les situations se reproduisent. Depuis plusieurs voyages, Noah ne cesse de collectionner lui aussi des petits trésors. Je suis émerveillé de voir comment un petit bonhomme de 3 ans, haut comme trois pommes, vient d’avaler avec le sourire ses 15 premières heures d’un long voyage de 7 mois dont le début a été on ne peut plus mouvementé.
A 1h30 du matin, Il a dit qu’il voulait aller dormir mais qu’avant on allait aller se brosser les dents et faire pipi. Puis, a insisté pour que moi aussi j’aille me brosser les dents et faire pipi, faisant le gué devant la porte des toilettes de l’avion le temps que je finisse. Puis, il s’est allongé, et juste avant de dormir, a essayé de m’expliquer une dernière fois avec application, martelant chaque syllable comme un ultime effort pour se rappeler et retarder l’échéance du coucher, qu’il avait pris 3 trains, 2 avions et qu’il allait bientôt arriver en ARGENTINE après le dodo.
Depuis ce matin, il n’a cessé de nous voir nous afférer à boucler nos sacs et finir de ranger l’appartement (Stephanie aussi d’ailleurs, qui est passée en coup de vent en plein milieu d’une “caca”tastrophe, où notre Noah, tout entier concentré à nous observer, en avait oublié d’aller aux toilettes ).
A 15h, on quittait finalement la maison, au beau milieu des grèves qui agitent Paris depuis plus d’un mois et qui ont conduit – fait rarissime – à une fermeture totale des stations de métro, forçants les franciliensà circuler à Paris pendant des sermaines.
Se jouant sans encombre des embouteilages, à peine arrivés à Charles de Gaulle, notre voyage aurait pourtant pu s’interrompre là, sur une simple seconde d’inattention de notre part.
Un employé d’Air France qui fait du zèle et insite pour qu’on retire 3Kg d’affaires d’un de nos bagages au motif qu’il est trop lourd ; notre agacement à le faire ; et alors qu’on s’y emploie, Noah qui était resté sur le porte bagage d’un chariot devenu trop léger sans les sacs, bascule en arrière et, en tombant, tape violemment sa tête sur le carrelage de l’aéroport. Il a l’air sonné. Le personnel Air France se précipite et l’emmène à l’écart le temps de faire venir les pompiers, qui accourent. Noah a du mal à garder les yeux ouverts et devient somnolant. On nous intime déjà de ne pas prendre notre vol pour aller faire des examens (en fait on en a 3 coups sur coups des vols, donc si on ne prend pas le premier…). On nous raconte les pires histoires sur des commotions cérébrales qui dégénèrent, alors si on est en plein vol à ce moment là…
J’en ai trop entendu. J’arrache Noah de ce cercle anxiogène et après avoir attendu qu’il fixe son attention sur moi, je lui propose de faire la course avec moi jusqu’au bout du couloir. Et d’un coup tout semble rentrer dans l’ordre. Il reprend ses esprits, retrouve le sourire, courre joyeusement à mes côtés. Les pompiers sont rassurés, le personnel Air France aussi. On est bon pour repartir, mais l’ambiance est un peu lourde. Virginie et moi le surveillons du coin de l’oeil guettant la moindre attitude anormale.
Heureusement, 30 minute splus tard, au contrôle de sécurité, on est définitivement rassurés lorsqu’il se met a râler parce qu’on lui dit qu’on ne peut pas rester 1h a regarder en transe le dispositif des bacs automatiques de la sécurité qui disparaissent sous le tapis pour réapparaître en début de fil. C’est bon, on a retrouvé notre Noah, passionné invétéré des trains, métros et autres mécanismes à répétition automatisés. Le voyage va pouvoir reprendre sereinement.
Au final le seul comportement anormal à signaler dès lors, sera le sentiment de culpabilité des deux parents qui conduira à l’achat de la sucette géante Chupachups et ses 15 mini sucettes à l’intérieur (vous savez, celle qu’on voit partout dans tous les aéroports, et que personne n’a jamais acheté parce qu’en plus d’être franchement encombrant, seul l’énorme pot de Nutella peut probablement être plus mauvais pour la santé).
En tout cas, notre petit champion tient a nouveau la super forme, et c’est pas plus mal car s’ensuivra :
- 40 min de vol pour Londres,
- 3h de méandres dans l’aéroport de Heathrow avec pas moins de 3 trains pour rejoindre notre terminal, puis la porte d’embarquement ;
- 1 jolie rencontre avec Clotilde, 23 ans, en partance pour Bogota et première tour du mondiste rencontrée ;
- 14h de vol pour Buenos Aires ;
- Re 3 heures d’attente qui deviendront 5h après un retard visiblement coutumier de Aerolinas Argentinas (sur le tableau d’affichage le seul vol qui avait un statut vert de la journée c’est celui qui avait décollé … avec 6h de retard ;
- Puis à nouveau 3h30 de vol pour El Calafate ;
- Et 45 minutes de voiture pour rejoindre – enfin – notre estancia sur le bord du lac Argentino.
Pour une mise en jambes, c’est une mise en jambes… et notre petit intrépide tient la corde.
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