Hé Hé. On se réveille par un radieux soleil d’été. Je sens que l’attente des deux derniers jours va payer. A nous Langisjor et Eldgja dans des conditions optimales.
D’ailleurs la météo ne trompe pas, tout le campement s’active. Les tentes se replient, les coffres des jeeps se remplissent. Le temps de laisser Noah jouer une dernière fois avec ses copains à faire un chantier d’usine à l’aide d’une vieille cuillère et d’un bol (qui a dit que les enfants avaient besoin du dernier jouet à la mode pour s’amuser ?), et nous voilà partis.
Noah est triste de quitter les copains, mais comme c’est pour traverser des nouvelles rivières … Après avoir passé un premier gué sous ses cris enthousiastes, on découvre enfin le panorama qu’offre les 15 km de piste de cendres dans la montagne qu’on avait parcouru il y a respectivement 2 et 3 jours sous un épais brouillard.
On ne tarde pas à retrouver ensuite le gué de la F235 devant lequel on avait rebroussé chemin. Il est beaucoup moins haut qu’il y a deux jours si on fait abstraction de la longueur de la traversée. Tout se passe sans encombre, et sur 45km on va alterner les paysages désertiques de sable noir et de mousse verdoyantes que l’on ne retrouve d’habitude que dans les films de science-fiction sur de lointaines planètes.
Comme on reste dans la vallée, bien évidemment les gués se succèdent, mais pour une fois sans difficultés particulières. Les niveaux d’eau ont beaucoup baissé depuis 48h.
Je partage avec Virginie la conversation que j’ai eu en partant avec la tenancière du camping. Elle me disait qu’ils ouvraient que de mi-avril au 15 septembre, car le reste de l’année ce n’est vraiment pas raisonnable de parcourir cette région, qui plus est à une seule voiture. « Les Highlands c’est magnifique, mais on a tendance à oublier que tous les ans, elle prend des vies ». Virginie, elle, me raconte la discussion avec le frère de ceux qu’on a rencontré qui est guide depuis 9 ans et qui avait refusé de lui filer son portable car il ne prend jamais le risque d’emmener dans les Highlands les gens en dehors des assurances professionnelles de la compagnie pour laquelle il travaille. Le temps est trop changeant, les routes très peu fréquentées. Les catastrophes arrivent tout le temps. Casse mécanique, rivière, puis en quelques minutes le temps se gâte et comme le réseau ne passe pas et qu’il y a peu de passage parfois ça tourne mal.
Bon, ben confidences faites, heureusement qu’il fait beau car depuis 10km on n’a plus une barre de réseau et vu qu’on s’enfonce dans un no-mans land et qu’on n’a croisé aucune voiture depuis 1h dans un sens ou dans l’autre, on mesure le côté « seul au monde ».
1h10 de piste plus tard on arrive au tout début du Langisjor, le plus grand lac d’Islande, long de 22 km. On pensait qu’il y avait un refuge sur place. On y trouve en fait une cabane et 2 cartes sur un panneau.
On est rejoint par 4X4 qui nous suivait depuis quelques kilomètres et qui avait hésité comme nous pendant plusieurs minutes sur le seul embranchement rencontré peu avant sur les 45 km de piste.
Bref, on est sur place et je sais qu’il y a une rando à faire pour prendre de la hauteur et avoir une vue superbe, mais le nom m’échappe et je ne le reconnais sur aucun panneau. Je regarde sur mon tel à la page web que j’avais laissé ouverte qui donnait les indications, mais celle-ci décide dans son coin de se rafraîchir toute seule et faute de réseau, je me retrouve sur une page blanche. Plus d’indications possibles.
Le conducteur de l’autre 4×4 est un Islandais qui voyage en famille. Avec le Covid, comme beaucoup d‘islandais qui préféraient d’habitude passer leurs vacances à l’étranger au chaud, se sont mis à découvrir leur île. On discute un peu et il a en tête la même rando que moi mais ne sait pas s’il faut laisser la voiture là ou essayer l’une des pistes qui part au loin.
On pense savoir de quelle montagne il s‘agit mais si on se fait 6 km à pied pour rien pour atteindre la rando c’est un peu ballot surtout qu’elle est notée challenging. (400 mètres de dénivelé selon un guide, 600 selon l’autre d’après ma mémoire).
En se déplaçant, Virginie m’interpelle tout d’un coup. Elle a trouvé une barre de réseau ! Je me mets exactement à son emplacement, me met sur un pied, lève un bras pour faire antenne et fini par accrocher moi aussi une petite barre qui me permet de recharger la page. C’est bon j’ai le nom. Il s’agit de la Steinstindur hike, du nom de la montagne à gravir. On peut reprendre la voiture, c’est par là.
3km plus loin, nous voici au début de la rando et le point de départ est assez étonnant. Tu as une forte montée genre dune de cendre et gravier qui semble redescendre à pic de l’autre côté et en second plan l’Everest du jour dont on ne voit pas bien d’ici par quel chemin on va y arriver mais qui offre beaucoup de falaises à pic de part et d’autre.
Notre famille d’Islandais arrive juste après et il se mettent en tenue en mode tenue professionnelle et casquette avec filet anti-mouche intégré alors que franchement des mouches, il n’y a rien à cet endroit.
Comme d’hab dès qu’il y a une montée, Noah part bille en tête. Virginie, elle, fait 10 mètres avant de se rendre compte qu’elle a oublié un truc dans la voiture. Bon j’ai l’air de critiquer un peu comme ça, mais c’est grâce à cela qu’on a le paquet de Petit Prince, les petits gants etc… quand on en a besoin.
En tout cas, nous, en 5 minutes, on est déjà en haut que Virginie est à peine en train de monter. Je convaincs Noah d’attendre un peu mais il piaffe. Je le soupçonne de ne pas vouloir se faire doubler par les Islandais.
2 raidillons plus loin, les choses plus sérieuses commencent avec un sentier qui ne fait plus que 50 cm de large à gravir et toujours ces foutus précipices des 2 côtés avec des pentes composées d’amas de petits cailloux qui menacent à chaque instant de dévaler quelques 200 mètres plus bas.
Comme le spectacle est magnifique entre le lac à perte de vue et le glacier en toile de fond qui apparaît, je fais tant bien que mal abstraction du vide et de mon vertige et continue l’ascension. Avec le temps qu’on a, on voit à au moins 50km. Il y a 2 jours, on serait passé à côté.
Cela fait maintenant 1h qu’on monte. L’un des Islandais nous a rattrapé au grand désarroi de Noah. A la faveur d’un énième « plateau », je regarde ce qui nous attend, et surtout je me rappelle de ce qu’il y avait dans le guide. « A l’approche du sommet, la dernière partie est particulièrement escarpée ». Non mais je rêve, déjà je me demande comment on va bien faire pour redescendre ce qu’on a déjà monté, mais les 2 prochaines crêtes ont l’air bien pire, et je ne suis pas certain que ce soit la partie escarpée dont le guide parlait.
Il devrait y avoir une évaluation universelle des critères de difficulté des randos. Ca éviterait de faire une rando notée difficile que tu fais les doigts dans le nez en 1H moins de temps que ce qui est indiqué, et d’autres comme celles-ci où tu sens que ta dernière heure est arrivée.
J’interroge Virginie quand elle nous rejoint (sur toutes les zones difficiles généralement je pars devant avec Noah en lui tenant la main ou en le portant et Virginie couvre nos arrières 30 mètres plus loin à moins que ce soit le centre de gravité plus bas de Virginie qui lui fait prendre du retard 😉)
Et comme souvent dans ces cas-là, et alors qu’elle a bien la trouille dans les descentes au point que c’est Noah qui la dernière fois a voulu lui expliquer comment faire, je la sens plutôt décontractée.
Bon, je sais que mon vertige altère clairement mon jugement. Que Virginie n’aime pas s’arrêter au milieu d‘une rando si elle pense qu’en haut il y a une jolie vue. Noah lui est totalement partant, mais en même temps il a 5 ans…
Quand je vois que la montée se fait maintenant par l’intérieur de la montagne, il me parait clair qu’à moins d’aller jusqu’au sommet, on n’aura pas de meilleure vue que de là ou on est. Et franchement, même s’il fait beau, je ne me sens pas de descendre plus d’1h30 en pente raide avec Noah sur le retour si on arrive à aller jusqu’en haut.
Je jette l’éponge. On a fait les ¾ de la rando. La suite dans 10 ans si mes genoux le permettent encore. Maintenant c’est l’heure de redescendre.
C’est coton car c’est du gravier sur lequel les semelles n’accrochent pas. Petit à petit avec un Noah très sage, on redescend à petits pas. Si vous ne voyez quasiment jamais de photos de ces endroits c’est simple, je n’ai pas de troisième main et je ne vois pas comment lâcher la main de Noah même 30 secondes. Quant à Virginie, elle galère elle aussi et en plus à l’iPhone, on serait un point sur la photo.
Voilà, 40 min se sont écoulées. Je me suis pour la première fois un peu cassé la figure en glissant mais heureusement sur une partie où il n’y avait pas de ravin. On est en bas. C’était magnifique et on est contents d’avoir pu le faire par ce temps.
L’autre bon point c’est qu’en écourtant un peu la rando, on a le temps d’aller au bord du lac Langisjor. Après 1km de route caillouteuse, on arrive seuls au monde sur une petite avancée de terre. Noah se précipite au bord du lac pour faire des ricochets pendant qu’on sort de quoi faire le pique-nique en léger surplomb pour avoir la vue.
Noah, à la quatrième fois où on l’appelle – à moins que ce ne soit à la seconde menace je ne sais plus – revient avec une petite nuée de mouches qui vivaient au bord du lac et qui sont trop contentes elles aussi de pique-niquer avec/de nous. On finit par s’en débarrasser et on profite de la quiétude des lieux tandis qu’on aperçoit au sommet nos Islandais.
Au loin deux kayak se rapprochent de nous et Noah repart jouer aux ricochets au bord du lac. c’est peacefull.
Vers 14h, c’est l’heure de repartir. Il reste la cascade Eldgja et redescendre au sud vers Klaustur. On reprend la F235 en s’arrêtant de ci-de la, on repasse les différents gués, on repasse la montagne de cendres qui est devenue une vieille copine vu que c’est la cinquième qu’on la passe et on se dirige vers Eldgja.
Eldgja, qui signifie en islandais « la gorge de feu » a été créé par l’éruption du Katla en 934 qui est considérée comme la seconde plus grande éruption de l’histoire avec près de 18 km3 de lave déversée sur une période de 6 ans. Celle-ci a créé le plus grand canyon d’origine volcanique au monde, long de près de 40 km, large par endroit de 600 mètres et atteignant 270m de profondeur.
Bref, vous l’aurez compris, cette année-là comme dirait Claude François, il ne fallait pas se trouver dans les parages. Tout est maintenant heureusement « un peu » plus calme (enfin, on est en Islande et tous les 40 ans il y a quand même une éruption majeure qui tourmente le ciel européen). Nous voilà donc au fond du canyon, près à marcher nos 8 km aller-retour pour aller voir Ofaerufoss, une des plus belles cascades en 2 plateaux d’Islande, haute d’une soixantaine de mètres. Comme ce nom est aussi imprononçable que Eldgja est impossible à écrire correctement, les guides ont tendance à nommer la cascade Eldgja pour que ce soit plus simple.
Noah a moyennement envie de marcher. C’est marrant d’ailleurs, on n’a pas l’impression que ce soit un sujet de fatigue. Tu le fais marcher 10km ou plus, pas de sujet, mais sur de la distance intermédiaire, qui plus est en aller-retour vs une boucle, c’est plus compliqué.
Du coup on le laisse faire la rando avec son mouton en peluche (et oui avec le fameux mouton islandais, on lui avait suggéré à Paris de prendre son petit mouton pour qu’il puisse rencontrer ses congénères). Comme il est dans sa phase « je n’écoute vraiment rien », couplée à celle du « dessin animé récompense » qu’on avait autorisé après les grandes randos au Landmanalaugar, on met en place un « passeport points ». Le principe est simple. Tu fais un truc bien tu marques 1 point, tu n’écoutes pas, tu perds un point. On n’avait pas mis la barre trop haute, donc pour qu’elle soit atteignable il lui suffisait juste d’être en positif à la fin de la journée. C’est dire notre niveau d’autorité sur l’Enfant.
Si on avait respecté le barème depuis ce matin, il serait approximativement à -10, et encore en bénéficiant du bonus ascension de montagne de 5 points acquis en fin de matinée.
Comme il a compris que s’il pose gentiment le temps qu’on le prenne en photos ça me fais plaisir, il me propose d’emblée de faire une photo devant la rivière. Ne le voyant pas venir et pensant à un pur moment d’altruisme, je m’exécute. Il me regarde et me demande s’il a gagné un point. Un vrai Gremlins…
Bon an mal an on finit par atteindre la cascade et ses « marches de troll » pour y accéder (comprendre deux fois la hauteur légale, ils ont un vrai problème là-dessus nos amis Islandais). Après un moment agréable en haut on tombe sur des Français sur la descente. On papote 5 minutes pendant que Noah trace une route dans le sable qui va finir par faire une bonne cinquantaine de mètres. On a papoté tant que ça ?
Quand c’est l’heure d’y aller, je l’appelle une fois, deux fois, trois fois. Il ne répond pas. La moutarde me monte au nez. Et je lui retire un point, ce qui le fait redescendre à 3 points. Moi je me trouve magnanime, techniquement il devait retomber à zéro. Mais que n’avais-je pas fait ? Des larmes de crocodiles, des pleurs à n’en plus finir parce qu’il a perdu un point. D’énervement, je lui en enlève 2 de plus avec la menace de lui retirer son dernier point s’il ne s’arrête pas tout de suite de pleurer.
Avec des trémolos dans la voix il essaye de se calmer. Finalement les choses reviennent dans l’ordre et je lui explique une nouvelle fois pourquoi il doit nous écouter. Je suis en charge de lui et il est en charge de son mouton. Que dirait-il si son mouton n’écoutait jamais rien.
A partir de là, il va nous interdire de parler à son mouton mais va commencer à lui parler et lui dire ce qu’il doit faire ou non et lui attribuer ou lui retirer des points au fur et à mesure, et ce jusqu’à ce qu’il nous indique que son mouton s’est endormi et qu’il faut désormais chuchoter.
Bref il est aussi amusant qu’énervant, et le retour se passe bien. Tant mieux car on a encore 1h20 de route. Allez, un dernier gué de rivière pour la route.
Au fait on va dans quelle ville ? KirkjubejarKlaustur (foutu nom islandais). Mais heureusement pour nous, même les Islandais considèrent qu’il est imprononçable, donc ils l’appellent Klaustur. C’est quand même plus simple.
Retour à la civilisation. Une chambre, 1 douche, de l’eau chaude, le droit de faire une Laundry (pour être précis 3 sacs de Laundry). Avec Virginie on est sûr qu’on dormira moins bien que hier soir au refuge… et c’est vrai, on a moins bien dormi que la veille 😉 Mais on s’est pris notre verre de vin en terrasse par un beau temps radieux avant de dîner. On ne peut pas tout avoir…
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