Marcher en Amazonie, c’est fascinant à condition d’y aller dans les bonnes dispositions et savoir à quoi s‘attendre.

Vous pensez y voir des myriades d’oiseaux multicolores et d’animaux en mode safari africain ? Et bien pour utiliser l’analogie de la marguerite, c’est un peu, beaucoup, mais c’est surtout pas du tout. Pourquoi ? Parce que tu es au cœur de la jungle. Tu ne vois pas à 10 mètres autour de toi, et encore, dans les endroits les moins denses.

Ici, tu entends beaucoup. Parmi les plus bruyants, tu as les singes hurleurs dont les cris s’entendent à 2km à la ronde même dans cette végétation ce qui en fait le plus sonore des animaux derrière… l’éléphant – mais dans une toute autre proportion tu as le Sécateur – le grillon local – qui donne l’impression d’une scie circulaire qui passerait son temps à scier du bois ; et bien sûr une multitude d’autres oiseaux.

Ici, tu sens beaucoup aussi. J’allais dire pas nous les humains, quoi que vu le niveau de transpiration quand tu marches dans la jungle amazonienne, cela pourrait. Non, même pour notre odorat peu développé, ici nombre d’animaux laissent une odeur très forte. Fourmiliers, singes, Tatoo, Armadiloo…. Tu entres dans une zone de la forêt et d’un coup tu es littéralement assailli par ces odeurs que tu apprends assez vite à reconnaître. Et puis tu as les odeurs délicieuses, subtiles, de nombreuses écorces et plantes que Ralf, notre guide pince sans rire, te fait découvrir. Ce n’est pas un hasard si la moitié de l’industrie de la parfumerie se source en Amazonie. Parfums, fixateurs… tout y est. Il n’y a qu’à se baisser pour ramasser pour autant que tu saches quoi ramasser, car il y a tout autant de plantes toxiques, urticantes.

Quand tu fais tes premiers pas dans la forêt, une des premières sensations qui marque, c’est qu’au début, ton œil ne voit que du vert et du marron. Tout semble se ressembler et être immobile. Puis tu t’immerges dans le lieu et tu découvres la variété des plantes et des arbres, et côté moins sympathique, les myriades d’insectes qui pullulent partout, sous chaque branche, feuille, sur chaque écorce, tronc, tige…

Car il faut être clair. Plus hostile sur la planète, c’est probablement pas possible. Derrière ces couleurs enchanteresses, l’hostilité est présente dans tous les végétaux, tous les animaux. La loi de la jungle, c’est pas un mythe !

D’ailleurs quand on part ce matin à 9h du lodge en bateau pour joindre notre zone de marche, à la tenue imposée (chaussures fermées, pantalons épais, haut couvrant) nous attend quand même dans la pirogue des énormes protèges-tibias qui montent jusqu’au genou – voir la cuisse pour Noah car il n’y a pas de taille enfant -. Il y a même une languette de protection avant incorporée qui vient recouvrir la partie des lacets de la chaussure. Et pour couronner le tout, ce protège tibias ne se sangle pas avec un élastique comme au foot. Non, celui-ci est fixé toute hauteur avec des scratch et doublés par des lanières à fixer. Je suis presque sûr que le GIGN a les mêmes pour ses interventions. Le message est clair. Tu vas marcher, ça va grouiller de partout, et rien ne doit rentrer.

De même, le briefing à la sortie de la pirogue laisse peu de place à la rigolade. Ralf est clair là-dessus. On ne s’éloigne pas de lui de plus que quelques mètres, on marche exclusivement dans ses pas, on ne touche à rien, on ne soulève rien, on ne s’appuie contre rien. Au début cela prêterait presque à sourire, mais croyez-moi, après 30 mètres ça ne vient plus à l’idée de personne de ne pas suivre strictement ces instructions à la lettre. Le seul sujet, c’est que parfois tu aimerais bien ne rien toucher, mais c’est tellement dense que tu ne vois juste pas comment faire.

Mais commençons par un message d’espoir. On vient de faire quelques mètres et il nous montre l’arbre Wifi. Bon, c’est pas le nom vernaculaire de l’arbre, vous l’aurez compris, mais les plantes déjà quand tu es dans ta langue natale, tu ne t’en rappelles jamais, alors le nom portugais, ou anglais, laisse tomber. Ralf opte autant que possible pour des noms mnémotechniques qui sont utilisés communément dans le coin et ça à le mérite de marcher. On s’en souvient !

Donc l’arbre wifi, est très utilisé ici car il permet de retrouver les gens qui s’égarent. Ici aucun réseau GSM à 60 km à la ronde, même le GPS de ton téléphone ne marche pas.  Il y a beaucoup de ces arbres dans la forêt. La structure de leur racine et de leur tronc est surprenante. Si tu tapes dessus avec un bâton, il génère un bruit sourd incroyable qui s’entend à plusieurs kilomètres à la ronde. La raison ? Une forme particulière en creux du tronc qui fait résonner le son de manière étonnante. En Amazonie, dès que quelqu’un entend un de ces sons caractéristiques, il guète pour voir si ce son se répète. S’il se répète 3 fois, c’est qu’il y a une personne perdue ou qui a besoin d‘assistance. La personne qui entend cherche un arbre équivalent pour répondre. A partir de là, ils partent à la recherche de l’émetteur du son initial. Garanti 100% sauvetage.

On avance dans notre marche. C’est tout simplement étouffant. 100% d’humidité toute l’année. 35 degrés. Pas d’air dans cette végétation. Les insectes sont démesurément grands, comme cette coquille d’escargot, voir les termites ou araignées qu’on peut voir, mais le plus petits sont comme souvent de loin les plus dangereux. Du coup tu transpires comme un bœuf, il ne te vient pas à l’idée de te découvrir, et tu dois rester attentif tout le temps.

A l’inverse, d’autres éléments sont salutaires pour peu que tu aies un peu d’ouverture d’esprit. Ralf nous montre au sol comme une énorme graine d’une dizaine de centimètres de long. Avec sa machette il se met à en couper l’extrémité. Vu la dureté et le nombre de fois où il s’y reprend c’est à se demander comment il a encore tous ses doigts.

Dans la première, rien, dans la seconde non plus. Mais dans la troisième, on découvre 3 trous d’un gros centimètre de diamètre. Et qu’est-ce qu’il sort de l’un des trous avec le bout de la machette ? Une énorme larve blanche.

Vous devinez la suite. On dit bonjour à déjeuner ? Ralf demande qui veut goûter. Les 3 français qui sont avec nous (Oui parce qu’on est 6 sur cette marche) déclinent catégoriquement. Noah aussi, Virginie aussi, et je sens Ralf tout déçu. Bon ok je m’y colle. Je croque dedans et franchement, c’est pas mauvais du tout. Passé le petit craquement un peu juteux de la larve qui éclate dans ta bouche, on sent un goût un peu de noix de coco tout à fait correct.

Du coup cela donne envie à Noah d’essayer. Bon c’était un peu le but de mon sacrifice mais quand tu penses que depuis un an il ne veut manger que des pâtes… Et bien, chapeau bas, il l’a fait le bonhomme. Pourtant, quand tu tiens la larve qui bouge dans ta main, c’est vrai que ça donne moyen envie. Et là aussi, Noah trouve cela pas mal du tout, même s’il déclinera la proposition d’en reprendre une autre.

C’est aussi cela l’Amazonie. Au premier regard tu ne vois pas comment survivre, et puis tu te rends comptes qu’en fait tu as des protéines à portée de main et même de l’eau potable juste en coupant la grande liane sur notre gauche à deux endroits. Oui, parce que si tu coupes une seule extrémité, il ne se passe rien, mais si tu coupes un bout entier, l’eau se met à couler.
En fait, il manque juste la clim !

Un peu plus loin on repère une énorme fourmilière accrochée à un arbre. Cela grouille littéralement de fourmis. L’aide du guide pose sa main dessus. Les fourmis envahissent immédiatement sa main, puis son avant-bras. Celui-ci se met alors à se nettoyer avec en écrasant sur son avant-bras les fourmis comme s’il prenait une douche. Une fois qu’elles sont bien toutes écrasées sur sa peau et qu’il n’y en a pas qui continuent à se glisser sous ses vêtements, Il nous fait sentir. Une forte odeur couvre désormais son bras. Grâce à cela, il masque son odeur des autres animaux et pourra chasser les animaux.

En Amazonie, l’odorat est le sens le plus développé pour éviter les prédateurs car fasse à la densité de la végétation, ils verraient les prédateurs trop tard. C’est aussi pour cela qu’on voit peu d’animaux en Amazonie. Ils nous sentent et nous fuient juste à cause de notre odeur. Grâce aux fourmis, on reprend l’avantage. A commercialiser…

Plus loin, une variété de palmiers. Les palmes sont utilisées notamment pour la fabrication des toits. La palme n’est jamais coupée en entier. Il en laisse toujours un bout, ce qui permet au palmier de repousser en 1 an. Il a fallu 9 000 palmes pour faire les différents toits du lodge.

Son aide de camp nous montre comment ils font. Patiemment, il se met à plier à 90 degrés chaque tige de la palme qu’il a coupé. Il réitère l’opération avec une second palme, puis les superposent. La durée de vie du toit dépendra de l’écart de superposition entre les palmes. Si on laisse quelques centimètres, le toit durera environ 5 ans, si l’espacement est plutôt de 30 cm, l’étanchéité durera plutôt 2 ans. Tu choisis. Soit c’est plus long au début et ça tient plus longtemps, soit tu bâcles le boulot et tu recommenceras plus tôt. C’est un peu l’école de la vie, non ?

Pendant ces explications, Ralf s’affaire à la manière des forains avec leurs ballons à fabriquer avec quelques feuilles de palme un superbe criquet qu’il offre à Noah. Virginie, elle, hérite d’une couronne. Queen Virginia. Son aide de camp, lui, finit de confectionner un éventail en tressant les feuilles pour Charlotte, la fille de 20 ans du couple de français avec lesquels on partage cette marche. Le courant passe bien, et Noah va assez rapidement comme il le fait souvent avec les filles plus âgées, en faire sa super copine. Pour Charlotte, elle ne le sait pas encore, mais elle vient d’hériter d’un petit frère pour la fin de son séjour.

Après l’atelier tressage, on tombe sur un arbre incroyable. Le walking tree. Son principe, qui a du inspirer nombre de cinéastes d’Hollywood, c’est que de son tronc principal, il fait pousser une série de racines qui démarrent du tronc à environ 1 mètre du sol pour aller s’enraciner un peu plus loin dans le sol. Puis pour se déplacer, il va faire mourir les racines inutiles et faire d’une racine secondaire son tronc principal, qui à son tour fera des racines autour de lui et ainsi de suite. En quelques années, cet arbre peut ainsi littéralement se déplacer de 3 à 5 mètres, lui permettant d’avoir un meilleur ensoleillement ou de s’éloigner d’un arbre qui pourrait gêner son développement.

Place ensuite à la salle d’armes. L’arbre à épines qui permet de fabriquer des flèches, celui dont on extrait la sève qui est en fait du curare (mort par paralysie garantie en 3 minutes).

Pendant qu’on observe tout cela, et alors qu’on est scrupuleusement dans les pas de Ralf, celui-ci s’arrête et nous montre ce sur quoi on s’apprêtait à marcher. Ben Ralf, là on ne voit pas, il n’y a que des feuilles au sol. Puis la seconde suivante, sous une feuille sort un tout petit et très joli serpent multicolore d’une trentaine de centimètres à tout casser. Un serpent corail. Tout simplement le plus venimeux d’Amazonie, notamment car aucun antidote n’a été trouvé à date.

Il l’astique avec un petit bâton. Au départ il cherche à s’enfuir, puis une fois en partie enroulé autour du bâton, il se dresse, faisant mine d’être prêt à attaquer. Cela confirme la règle de la jungle. Plus c’est petit, plus c’est mauvais.

Voilà, notre première marche en forêt touche à sa fin. Noah est aux anges. Il a tout adoré. ,Le serpent, la larve. Il est d’autant plus galvanisé que tous les adultes autour ont été plutôt inquiets tout du long, refusant les épreuves proposées par Ralf alors que lui les a embrassées. Cela nous a permis également de voir qu’en fait il comprend plutôt très bien l’anglais. Parfois il a besoin d’un coup de main pour le contexte, mais après il suit la conversation de Ralf qu’il commence à bien aimer. En revanche, Noah ne parle pas encore, à part répondre yes ou no en gros aux questions de Ralf mais qui montre qu’il a bien compris de quoi on parle.

De son côté, Noah a gagné ses galons d’aventuriers et vient de rentrer dans les bons papier de Ralf qui avec son côté pince sans rire n’est en fait pas commode avec tout le monde, surtout quand il voit que les gens ne respectent pas son mode de vie, on ne prêtent pas assez attention à ce qu’il raconte.

D’ailleurs arrivé au lodge, Ralf qui entre temps a compris que Noah n’avait pas 10 ans, mais seulement 8 ans ce qui le fait encore plus monter dans son estime, décide de le prendre sous son aile.

Il a vu que Noah était excité comme tout par la sortie de ce soir pour aller voir des caïmans, alors il nous emmène sur le chemin en pilotis qu’on prend depuis hier pour aller au restaurant et nous montre qu’on passe devant à chaque fois sans voir la petite dizaine de caïmans de toute taille qui sont tapis dans l’eau en contrebas. L’occasion aussi de voir un héron immobile qui attend le passage d’un poisson qu’on distingue à quelques mètres pour l’attaquer ; La jungle est décidément impitoyable.

Noah profite de la petite demie-heure avant de partir manger pour dicter son blog sur l’ipad.Tellement 2024…

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