Avant de partir pour Monument Valley, direction le petit-déjeuner. Elément incontournable de notre équilibre alimentaire aux US tant il n’y a jamais rien à manger dans les parcs en journée. Tient c’est vrai je ne me fais la réflexion que maintenant mais pour une nation qui mange comme des ogres et grignote à longueur de journée, c’est tout de même étonnant qu’il n’y ait aucune offre alimentaire sur des lieux aussi touristiques. 

Toujours est-il que le choix en cette période de basse saison étant des plus limité à Bluff on retourne au Comb Ridge restaurant qui en plus s’avère heureusement très bon. Créer quelques habitudes pour Noah en mangeant 2 fois au même endroit ne peut pas lui faire de mal. Pour y aller, on prend quand même la voiture non pas parce qu’on aurait fini par prendre le pli des américains qui ne font rien à pied, mais parce qu’il faut traverser la nationale et qu’avec notre doudou national passionné des automobiles c’est quand même notre meilleure chance de ne pas devoir rester ensuite 30 minutes devant la route à voir passer les rares voitures du coin.

On se met ensuite en route tranquillement vers Monument Valley situé à 1h de Bluff. Mis à part une petite rando de 4km, la Wildcat trail, le parc se visite en voiture via une route scénique de 25 kilomètres ponctuée de point de vues. Tout le reste se fait forcément via des tours organisés par les Navajos qui opèrent le parc. Je trouve les prix prohibitifs donc en fonction de ce qu’on va découvrir par nous-mêmes, comme on repasse demain par Monument Valley pour allez à Page, on aura toujours le temps de se rajouter une excursion si on sent qu’on a manqué un truc incroyable.

Sur la route vers Monument Valley, on se fait un petit stop pour admirer les premiers « monuments » à l’horizon. Noah a envie de se balader alors il nous emmène sur une route en nous expliquant que c’est le chemin de la ballade pour la montagne. Garde tes forces moustique, la ballade c’est pour tout à l’heure.

Enfin, ca, c’est ce qu’on croyait. Cela ne vous aura pas échappé mais ces derniers jours et jusqu’à ce moment, nous sommes comme depuis 2 mois dans notre petit paradis en famille.

Du coup, lorsqu’on arrive à l’entrée du parc et qui on tombe sur des rangers en train de mettre des cordons de sécurité et d’interdire l’accès au visitor center et à l’ensemble du parc, on tombe des nues. 

Renseignement pris, ce n’est pas une scène de crime. Par ordre du président de la communauté Navajo, tous les sites gérés par les Navajos sont fermés jusqu’à nouvel ordre pour cause de Coronavirus. A la faveur d’une brève connexion internet, ce sont maintenant les visites de Lower et upper Antelope Canyon du côté de Page également gérés par les Navajos qui sont annulés. Quand je pense qu’il avait fallu que je me mette une alerte pour pouvoir réserver 3 mois avant juste au moment de la mise en ligne des billets et qu’il avait fallu que je calcule l’orientation du soleil à cette période de l’année pour en déduire que le meilleur créneau c’était de 12 à 13h pour avoir juste la bonne luminosité dans upper canyon.

Il faut dire qu’aux US ce n’est pas toujours facile de s’y retrouver entre les différentes juridictions. Entre le gouvernement fédéral, le gouvernement des états et ici, le gouvernement tribal, pas toujours facile de comprendre ce qui relève de qui ou quoi.

Toujours est-il que c’est officiel. Après 62 jours de voyage, le coronavirus nous a bel et bien rattrapé et n’est pas loin de nous mettre K.O.

Pour autant, nous n’avons pas encore le cœur à abdiquer face à l’adversité. En cherchant ce qu’il y a à faire dans le coin devant le fermeture de Monument valley, on identifie 2 pépites. Le Gooseneck State park et la Valley of the Gods qu’on a laissé sur notre droite en allant vers Monument Valley. Le premier n’est pas administré par les Navajos et le second est en accès libre. On a donc toutes nos chances de pouvoir y entrer. Allons-y !

Sur la route, on profite d’un arrêt essence pour choper 2-3 trucs à picorer au 7-Eleven d’à côté – une chance -, et le Gooseneck State Park étant fort heureusement encore ouvert, on se fait un pique-nique royal avec une vue à couper le souffle sur les canyons créés par les méandres de la San Juan river 300 mètres en contre-bas. A cet endroit précis, les méandres de la San Juan River parcourent près de 13km pour n’avancer de seulement 3km. Alors forcément, ça donne ça.

La table de Pique-nique est située à 10 mètres du vide. Heureusement, pour une fois, Noah reste à peu près à table pendant le pique nique, puis se met à jouer 1 bonne heure tout seul avec le petit quad que Virginie vient de lui offrir.

C’est le plus petit state Park de notre voyage (5 dollars l’entrée, 100m de route pour arriver sur la vue du canyon et puis voilà), mais on y restera en tout près de 2h à profiter de la vue et de la plénitude du lieu. Une parenthèse un peu hors du temps. 

Du coup, le temps file et il est désormais près de 15h. Si on veut aller à la Valley of the Gods (et comment ne pas vouloir y aller avec un nom pareil), il va falloir se mettre en route. Hop, tout le monde dans la voiture, on fait 100m, on se retourne, Noah dort. La Valley of the Gods est à moins de 30 minutes de là. Ca va faire court comme sieste pour notre petit bonhomme.

Je me plonge dans mon blog fétiche à la recherche d’une idée pour prolonger la sieste du petit prince, et je vois qu’on est passé sans s’en rendre compte devant le Forrest Gump point. Et pas juste une fois, non, deux fois. 

Je m’adresse ici à nos amis cinéphiles qui ont forcément vus Forrest Gump. Dans le film, Forrest Gump vit un moment de solitude après le départ soudain de Jenny qui ne lui a pas vraiment donné d’explications. Il est assis sur le porche de sa maison et tout d’un coup, il se lève et se met à courir Jusqu’au bout de la rue, puis de la ville, puis à travers l’Alabama, et finalement à travers tous les états-unis sans jamais s’arrêter, allant d’un océan à l’autre. Il devient une curiosité nationale et là où il passe, les gens se mettent à le suivre et à courir derrière lui devant cet acte mystique que personne ne comprend et que lui-même ne semble pas en mesure d’expliquer. Après 3 ans, 2 mois et 14 jours de course ininterrompue (ca pourrait être le nouveau défi de François tient), et alors qu’il est sur la route de Monument Valley, il comprend tout d’un coup qu’il avait besoin de courir pour se mettre en paix avec son passé. Il s’arrête alors et se retourne vers la petite foule qui le suivait. Tous attendent du “messie” une parole profonde, mais il se contente de leur dire “Je suis plutôt fatigué, je crois que je vais rentrer à la maison maintenant” et il rebrousse chemin à pied pour retourner en Alabama Devant l’air ébahi de ses suiveurs.

Tout cela pour dire, que ce point est devenu tellement culte qu’un panneau a été placé sur la highway 163 à l’endroit exact ou Forrest Gump (Tom Hanks) s’est arrêté de courir et que le kif de plein de monde c’est de s’arrêter là et de se prendre en photo au milieu de la Highway à la manière de Forrest Gump, ce qui en haute saison doit être une gageure.

Moi, j’ai adoré ce film à l’époque, et je ne peux pas m’empêcher de faire un parallèle entre la course de Forrest Gump et cette irrésistible envie que j’ai eu il y a un plus d’un an de vouloir partir 7 mois en voyage, pour pouvoir enfin prendre un peu de distance après le départ de Papa. Bon, de là à courir 1 169 jours sans s’arrêter… En tout cas – question de pudeur – je propose à Virginie d’aller voir le Forrest Gump Point – film qu’elle n’a pas vu – sans lui dire vraiment pourquoi j’ai envie d’y aller, mais tout en lui précisant qu’il n’y a rien de nouveau au bataillon et que c’est juste un spot sur l’autoroute à 20 minutes d’ici, donc 40 aller et retour, qu’on a en plus déjà passé deux fois. Je n’insiste pas plus que cela, mais elle doit sentir que ca me fait plaisir, donc elle m’encourage à y aller. L’avantage après 20 ans de vie commune c’est qu’on n’a pas toujours besoin de tout expliquer pour que l’autre comprenne. En plus, Noah dormira presqu’une heure de plus et ça, ça vaut bien un détour. 

Arrivés sur place, c’est surtout l’évocation de ce que ce point symbolisait pour moi qui me plaisait, plus que la photo, mais puisqu’on est là et qu’il n’y a pas trop de monde, Virginie me propose d’en prendre une. Oui mais voilà, pour que cela ressemble un tant soit peu à la photo du film, il va falloir régler l‘épineux sujet de la femme face à la géométrie dans l’espace. Se mettre à la bonne distance avec le bon niveau de zoom pour arriver à l’objectif escompté.

Oh ca va, Je vous entends presque derrière votre ordi. Encore une réflexion machiste. C’est tout de même pas un scoop que la majorité des femmes galèrent avec ça. On ne va pas en faire un fromage. J’avoue que dans le cas présent, Virginie avait l’handicap supplémentaire – ou principal – de ne pas avoir bien en tête la photo qu’il fallait faire, donc ca n’a pas aidé. En tout cas, après moultes essais, ça donne ça.. 

Je ne suis pas superstitieux mais je crois souvent aux coïncidences, ou pour être plus précis à la façon dont le cerveau humain, toujours en quête de sens, sait assembler spontanément des épisodes a priori disparates en un tout cohérent. En tout cas, c’est tout de même une sacré coïncidence de voir que notre voyage va devoir s’interrompre – j’espère que temporairement – précisément après le Forrest Gump Point.

En effet à partir de là, nous allons nous mettre à cogiter sur la suite à donner à notre voyage. Il est 17h. Demain nous devons normalement aller à Page, puis au Grand Canyon et finir à Vegas. Après un périple dans les parcs du nord assez isolés, nous nous rapprochons de la civilisation et des lieux que visitent les touristes d’un jour à Vegas. Les lieux touristiques à Page se ferment, des premiers cas viennent de se déclarer à Vegas, et avec l’interdiction des regroupements de personnes qui se profile, Vegas va être le premier lieu des US à fermer. Et pourtant on doit s’y rendre dans moins d’une semaine.

De toutes les options, passant par tenter de rejoindre Hawaii tout de suite, se réfugier au Canada chez Jenn, continuer comme si de rien, retourner en France, on finira par choisir de retourner au Canyon of the Ancients Guest Ranch.

Pourquoi ? Principalement parce qu’on a choisi de croire aux coïncidences.

Ce lieu, choisi en 30s il y a plusieurs mois totalement par hasard et qui n’est qu’à 1 heure de là ou on se trouve s’avère être le seul en 2 mois à avoir les caractéristiques pour nous accueillir dans de pareilles circonstances.

C’est un ranch isolé au milieu de 2 000 hectares, avec une maison rien que pour nous, cuisine et barbecue, des animaux comme on les aime, et un patou des Pyrénées qui ressemble comme deux gouttes d’eau à notre Snow à Biarritz. Alors certes, on y a vu les signes que l’on voulait y voir mais devant la montagne d’adversités qui s’accumulaient pour toutes les autres solutions, lorsque Garry et Ming, les propriétaires, ont répondu favorablement à notre demande en disant qu’ils nous accueilleraient volontiers 1 ou 2 mois si on le souhaitait, on s’est senti à la maison.

Mais cette décision, on ne l’a pas prise en 10 minutes et il nous a fallu tout le reste de la journée pour la mûrir.

Voilà, il est 17h bien tapé et nous arrivons à la Valley of the Gods. Cette vallée est apparemment – puisqu’on ne peut pas faire la comparaison – un mini Monument valley. Sur une route tantôt de terre, tantôt de gravier, traversant plusieurs lits de rivières heureusement asséchés à cette période de l’année, on sillonne une vallée avec des pics ou des plateaux tabulaires à perte de vue. C’est aussi l’endroit rêvé pour du camping sauvage. Quelques emplacements sont d’ailleurs occupés à plusieurs centaines de mètres les uns des autres sur cette route. 

La route et les arrêts qu’on va faire sont presqu’assez beaux pour me détourner de notre casse-tête du moment. Il faut dire que les lumières sur les “monuments” qui se dessinent à la faveur de la fin de journée sont particulièrement belles. 

A chaque arrêt, Noah se raconte ses petites histoires et parcoure les alentours avec son petit quad. Tracement de routes, escalades de rochers. Je payerai cher pour retrouver le bonheur de l’insouciance de mes 4 ans.

Le soleil est entrain de se coucher à l’horizon, Virginie et Noah jouent dans le sable avec le quad. Je me suis éloigné pour avoir une longue conversation avec Jenn à Toronto, maman à Paris, et Bruno à Vegas. Tous les horizons sont bouchés, pour des raisons diverses mais bien compréhensibles, ce qui renforce notre envie première de partir demain pour le ranch et de ne pas tenter un départ précipité et non préparé dans un monde en crise.

En une demie-journée on est passé de la famille Oui-Oui en voyage à World War III. Difficile de réfléchir posément et prendre la bonne décision dans ces conditions. D’ailleurs une chape de plomb est tombée sur notre voiture pendant qu’on rentre vers Bluff. 

Il est tard, donc on va vite dîner à nouveau au Comb Ridge à la surprise des tenants du restaurant. Je crois qu’ils sont surtout ravis de revoir Noah qui comme d’habitude marque les esprits, surtout que le vieux monsieur est encore là et que Noah lui donne du “best friend” à tire larigot. Nous, ca nous fait un truc de moins à penser et il y a de l’internet là-bas. 

Le repas est passé a récupérer une autorisation d’entrée sur le territoire canadien pour Virginie qu’elle a perdue sans le savoir en renouvelant son passeport avant de partir. On finira par retrouver son ancienne autorisation et à obtenir ainsi une autorisation immédiate (miracle de la bureaucratie canadienne), mais d’autres obstacles apparaissent sur cette option et on met de côté l’option canadienne. On aura poussé toutes les options jusqu’au bout, mais demain, ce sera le ranch.

Ce fut une journée éprouvante pour les nerfs. Dire qu’on s’endort comme des bébés serait exagéré mais au moins on sait ou on va demain.

Chaque jour suffit sa peine.

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