Ce matin on se réveille une fois n’est pas coutume sous une chape de plomb alors qu’ils prévoyaient plutôt du beau. Hier en regardant au loin on voyait à perte de vue une chaîne de montagnes enneigée et une multitude de glaciers. Ce matin, on serait bien en peine même de vous dire dans quelle direction elle pourrait bien se situer.
De toute façon on n’a pas le temps de tergiverser car nous avons rendez-vous à 10h15, à une heure d’ici le long de la côte, pour une expérience dont je ne suis pas peu fier : traverser la mer en tracteur pour aller voir des puffin. Ca fait un peu le remake de Jésus en mode agricole.
Hein, quoi ? Il débloque ? Je vous rassure, Noah aussi a cru que je rigolais quand je lui ai annoncé le programme de la matinée. Pourtant c’est textuellement cela. J’espère que ce ne sera pas gâché par la météo.
On prend donc la route pile poil à l’heure, et pour se donner toute nos chances de vivre cette expérience insolite dans de bonnes conditions, je propose à Noah de demander au soleil de nous nettoyer tous ces nuages d’ici notre arrivée.
Noah s’y emploie d’autant plus volontiers que les nuages sont incroyablement bas, mais semblent assez fins et ça et là on observe le disque solaire qui perce péniblement à travers la couche nuageuse, voir à certains endroits des percées de ciel bleu qui font leur apparition. Encouragé par ces premiers résultats, Noah se lance dans ces incantations.
A propos d’apparition, environ 10 km après Klaustur on s’arrête devant un paysage magique de petite cascade avec en arrière-plan les montagnes dans les nuages.
On poursuit notre route et on croise un cycliste courageux. Je reste mitigé sur l’intérêt de faire l’Islande à vélo car il n’y a que la route 1, qui voit passer des voitures à 90km/h et des routes F ensuite franchement impraticable donc je ne pige pas bien le plaisir dans une ile aussi magique de faire du vélo toute la journée sur une nationale.. Enfin, il est courageux le garçon quand même. Faut bien lui accorder cela. En tout cas la bonne nouvelle c’est que le temps se dégage.
Alors qu’on est à 15 minutes de l’arrivée, on aperçoit un très beau glacier qui semble assez proche de la route. Pas le temps d’aller le voir, mais on se le garde pour tout à l’heure après notre sortie puffin si on a le temps.
On quitte enfin la route 1 en suivant la direction Ingolfshofdi, qui est une petite île située à 5 – 6 km de la côte. Au bout du chemin, une ferme avec un énorme tracteur et une grande carriole d’une dizaine de mètres de long qui sert à récolter le foin et qui a été vaguement convertie pour nous accueillir. Noah est aux anges, et nous aussi je dois dire. En plus, Noah a bien bossé et le soleil est enfin de la partie. Tout juste voit-on à l’horizon du côté de la mer une bande de nuage qui persiste.
On embarque dans la carriole, le conducteur nous explique qu’il est le fils de celui qui, il y a 30 ans a eu l’idée de cette excursion. Il a l’air passionné. C’est sympa.
Il enclenche la première et nous indique que nous allons rejoindre l’ile d’Ingolfshofdi située à 6 km du rivage. On n’a pas fait 100 mètres que voilà notre tracteur qui traverse à la manière d’une SuperJeep une première rivière, puis emprunte un chemin rempli d‘eau avant de tracer tout droit à travers mer en direction de l’ile.
Celle-ci est en effet séparée de la terre de 5km d’eau très peu profonde. Au début je pensais que c’était traversable uniquement à marée basse mais en réalité le propriétaire des lieux nous expliquera que l’eau qu’on traverse provient en réalité du glacier voisin et se jette dans la mer.
Ingolfshofdi est le nom de la première famille à être arrivé ici en Islande. De premier abord on a du mal à comprendre pourquoi ils se seraient installés là vu que l’on traverse une zone de cendre noire, mais en fait cette zone qui accueilli jusqu’à plusieurs centaines de familles était à l’époque une plaine verdoyante propice à l’agriculture. Mais quelque part à partir du 14ème siècle le volcan sous le glacier à quelques kilomètres de là s’est réveillé et en quelques heures en sublimant la glace au-dessus de lui haute par endroit de près de 400m, un véritable tsunami a déferlé sur la vallée jusqu’à la mer, tuant au passage près de 300 personnes vivant là.
A partir de cette date, à intervalles réguliers, le volcan est rentré en éruption et a systématiquement balayé toute la zone entre « le continent » et l’ile d’Ingolfshofdi.
C’est ce qui confère à Ingolfshodi sa configuration si particulière où d’un côté c’est une falaise haute d’une centaine de mètres et de l’autre une pente douce de cendre à la manière de la dune du Pyla. Je n’ai pas réussi à comprendre si les raz de marées successifs ont arraché sur cette partie de l’ile la roche au point d’en faire une pente de cendre, ou si elle était déjà en pente douce et si les raz de marées ont déposé sur ce versant la cendre qui était transportée par les eaux.
En tout cas, depuis lors, la zone n’est plus jamais redevenue fertile et toute idée d’agriculture y a été abandonnée.
Rien qu’au 20ème siècle, il y a eu une éruption en 1903, et une autre en 1920 qui ravagea à chaque fois la zone. Le fils du propriétaire, lui, n’a connu qu’une éruption en 1976 dont le raz de marée n’a touché que l’autre versant.
La traversée en tracteur va durer 30 minutes. 30 minutes durant laquelle Noah va être en extase totale, totalement absorbé par le mouvement des roues du tracteur dans l’eau. A l’approche de l’ile, le temps change du tout au tout. Exit le soleil pour faire place à une couverture nuageuse menaçante mais qui va donner un côté dramatique à cette île de cendre aux falaises abruptes sur 2 de ses versants.
En effet de ce côté, le tracteur s’arrête et nous voilà entrain de gravir sur une centaine de mètres une grande dune de sable noir qui nous amène jusqu’au sommet.
Une fois en haut, le propriétaire nous demande de marcher juste derrière lui car de nombreux grands labbes ont vu leurs oeufs éclore récemment et les oisillons se cachent dans les herbes incapables pour l’heure de voler. Sur le coup on ne comprend pas bien, puis cinquante pas plus loin c’est plus parlant. Le guide se tient à 1m d’un bébé grand labbe qui fait déjà une bonne taille et qui, couché, fait le mort.
Il nous explique que contre notamment les renards c’est leur seule tactique pour survivre tant qu’ils ne savent pas voler. La mère s’éloigne et le bébé s’immobilise et fait le mort en espérant que le prédateur ne s’intéresse plus à lui. L’oiseau reste immobile au point de se laisser approcher par tout le groupe que nous sommes à moins de 1m de lui. La mère s’est posée à une vingtaine de mètres et observe, pas franchement ravie.
Après quelques minutes, on s’éloigne vers la falaise pour observer cette fois une colonie de puffin beaucoup moins farouches qu’aux iles Vestmann et qu’on approche à 3 mètres à peine. Noah s’essaye à la photographie.
L’astuce, c’est que les grands labbes et les renards attaquant les puffins en se précipitant sur eux. Ainsi, tant qu’on fait des mouvements lents vers eux ils ne les assimilent pas à des attaques potentielles et vaquent à leurs occupations comme si de rien. C’est aussi l’avantage d’aller dans un endroit interdit au public. Les comportements humains sont toujours les mêmes et les Puffins sont en confiance.
Je m’éloigne un peu et Noah est resté un peu derrière entre Virginie et moi. Comme d’habitude il gigoter partout ce qui a le don de me stresser quand on est prêt des falaises. Tout d’un coup j’entends un hurlement de Virginie. J’avoue que j’ai immédiatement pensé que Noah était tombé de la falaise. Je me retourne en une seconde tétanisé pour découvrir que Noah va bien mais que Virginie est en train de se faire attaquer par un grand labbe qui des airs, lui fonce dessus, s’éloigne au dernier moment avant de revenir à nouveau en piqué sur elle toutes griffes et bec dehors.
Un grand labbe, cela fait près d’1 mètre d’envergure avec un air mauvais. Ca ressemble comme deux gouttes d’eau à un aigle. Pour voir le genre d’individu que c’est, la technique de chasse du grand labbe c’est d’attaquer les autres oiseaux en vol qui reviennent avec des poissons dans le bec pour leur créer un tel stress qu’ils lâchent les poissons, permettant au grand labbe de les attraper au vol. Bref, vicieux, intelligent et flemmard.
Virginie nous rejoint en courant et le grand labbe fini par cesser son attaque. Visiblement c’est un cas de représailles. Lorsqu’on s’est éloigné de l’oisillon, Virginie s’est attardée seule près de l’oiseau pour le photographier. La maman n’a pas dû apprécier. Virginie, désormais isolée, constituait une bonne cible, et le grand labbe lui a fait comprendre qui était le patron.
Sauf que du coup Virginie a été stressée tout le reste de la rando, car à la manière du film de Hitchcock, il y avait toujours par la suite 2-3 grands labbes posés pas loin que Virginie identifiait comme une surveillance étroite de sa personne. Tropisme humain bien peu vraisemblable mais qui a suffi à la dissuader par la suite de partir seule près des falaises comme elle aurait aimé le faire.
Mis à part the « Labbe incident », l’heure passée sur le bord des falaises fut vraiment un merveilleux moment et on a vu des centaines de puffin.
On s’est ensuite rapproché du grand phare et pu observer une seconde colonie.
Virginie scrute toujours autour d’elle. Un grand labbe la surveille, mais Noah lui fait les gros yeux.
C’est l’heure de rentrer. On se régale à dévaler en courant la pente de cendre noire avec Noah en tombant à de multiples reprises.
Puis rebelotte avec 30 min en tracteur dans l’autre sens, toujours dans l’eau, et avec le retour du soleil.
13h30, l’animation tracteur / puffin est finie et on a juste le temps de revenir sur nos pas, grapiller un hotdog et aller voir le glacier qu’on avait repéré. Il y a toujours un bel endroit en bord de route en Islande.
Puis on file vers la seconde destination du jour à savoir la lagune glaciaire de Jokulsarlon pour notre sortie en zodiac programmée à 16h. Noah s’endort comme un bien heureux sur la route. A nouveau un amas de nuage de très basse altitude s’amoncèle tant est si bien qu’arrivés au glacier on est bien dans le brouillard. Zut, on ne va rien voir du tout là.
Pendant que je reste dans la voiture avec Noah qui roupille toujours, Virginie va jeter un coup d’œil juste en face à « Diamond Beach », une plage de sable noire avec des icebergs échoués un peu partout dessus qui donnent l’impression d’être des diamants. Par mauvais temps c’est moins impressionnant.
C’est l’heure du zodiac. On est face au glacier en léger surplomb, une grande lagune avec des icebergs devant nous. La dernière fois on y était avec papi Georges. C’était en 2015.
Noah se réveille plus ou moins à ce moment-là. Je le briefe. Pour le zodiac tu as 6 ans ok ? Cet enfant change d’âge tous les 3 jours au gré des interdictions d’âge minimum. Mais comme il est grand je sais que cela ne va poser de problème. On enfile les combinaisons de cosmonautes au cas où on tombe dans la flotte (l’eau est à 5 degrés, donc l’espérance de vie est de l’ordre de 2 minutes par ce froid-là), puis par-dessus, les gilets de sauvetage qui se gonflent en théorie automatiquement si tu tombes à l’eau. Mais si ce n’est pas le cas tu peux tirer sur la poignée. Comme on nous montre comment faire, bien sûr, pendant quelques minutes Noah n’a plus qu’une idée, c’est tirer sur la poignée.
On embraque ensuite dans un Monster truck pour faire les 300 mètres qui nous séparent du départ des zodiac et on embarque à 8 dedans. Ce qui est top avec le zodiac c’est que tu peux aller au plus près du glacier. Pourquoi ? Tout simplement parce que cela n’en a pas l’air vu la hauteur du glacier, mais celui-ci se situe en fait à 8km de là. Donc à part en bombant à toute allure entre les icebergs comme peut le faire un zodiac, les autres bateaux restent loin car ils n’auraient pas le temps de faire 16 km pour aller au glacier et en revenir.
Tu parles du kiff pour Noah. Après le tracteur, le zodiac à toute blinde à 20cm de l’eau. Il va en baver d’excitation pendant les 20 minutes de traversée. Autre bon point, ici on était limite dans le brouillard, mais maintenant qu’on est au pied du glacier il fait grand beau. Les nuages ces derniers jours ne s’accrochent vraiment qu’au niveau de la côte. Tant mieux.
La langue du glacier qu’on a devant nous n’est qu’une des 37 langues glaciaires du Vatnajokull, le plus grand glacier d’Europe. Si celui-ci fondait, il ferait monter le niveau de la mer de la planète de 2cm. Le glacier il y a 100 ans était au niveau de notre point de départ. Il a donc reculé de 8km et continue de reculer de l’ordre de 100m par an du fait du réchauffement climatique, découvrant petit à petit la lagune glaciaire qui s’étend encore sur 17km en-dessous du glacier. Quand Noah y retournera avec ses enfants si ça continue comme cela il aura une mer en face de lui.
Vous l’aurez donc compris, le glacier qu’on a devant nous flotte en fait sur l’eau et n’est pas strictement parlant posé sur un fond rocheux. Au plus profond, la lagune fait elle, 300m de profondeur.
Devant le glacier on assiste à quelques pans de glace qui tombent. Le glacier avance de 100m par an. A côté du Perito Moreno qui avance de 2 mètres par jour, il ne boxe pas dans la même catégorie sur ce point et c’est donc naturel qu’on ne voit pas des pans entiers tomber toutes les heures dans l’eau comme on l’avait vu en Argentine, même si on assistera à 2 effondrements de glace.
On aperçoit aussi de nombreux phoques sur les icebergs ou qui nageant dans l’eau. Eau qui d’ailleurs est un mix d’eau douce de la fonte de la glace et d’eau de mer puisque cette lagune glaciaire a la particularité d’être connectée à la mer. Ceci explique que l’eau soit à 5-6 degrés et non à 1 ou 2 degrés s’il n’y avait que de l’eau douce.
Il est 18h. Retour au bercail à fond la caisse. Noah toujours super ravi et oubliant complètement qu’on se gèle quand même bien les mains quand on est à raz d’une eau gelée en plein vent. On se balade ensuite un peu sur la jetée qui sépare la lagune glaciaire du bras de mer. les phoques sont en rdv.
Il nous reste une heure de voiture pour rejoindre notre hébergement du soir, le VikingCafé près de Höfn. Comme ils ne servent pas à dîner on décide de s’arrêter à Höfn pour dîner chez Bakkhus.
Ils nous promettaient une heure d’attente mais le coin avait l’air tellement top qu’on a attendu malgré la longue journée qu’on avait dans les pattes. Bien nous en a pris. On n’a finalement attendu que 30 minutes. L’ambiance était super et on s’est fait notre premier menu langoustine (Höfn est considéré comme le temple de la langouste de l’Islande).
On s’est juste régalé, et après aussi peu de bonnes tables du fait des endroits reculés où on se trouvait, ce repas a été d’autant plus apprécié.
Arrivés au Viking Café il y a de bonnes ondes ici. On va passer un bon moment, c’est sûr.
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